IBN GUZMAN

IBN GUZMAN
IBN GUZMAN

Dans le Libro de las banderas de los campeones , de Ibn Sa‘ 稜d al-Maghribi, on lit (LVII): «L’écrivain Ab Bakr Mu ムammad ben ‘ 壟s ben ‘Abd al-Malik Ibn バuzm n, célèbre pour ses zadjals , appartenait à une famille à la fois noble et lettrée. On me récita ces vers-ci, qui sont de lui: Délicieuse à manger, la rave; mais qui s’en régale est venteux de la bouche; elle n’a d’autre défaut que de changer la tête en cul.»

C’est un peu simplifier l’image d’Ibn Guzman que de ne le citer que pour ces deux vers-là. Mieux vaut relire à son propos Ibn Khald n : «Lorsque l’art de composer des vers se fut répandu parmi les Espagnols, tout le monde s’y appliqua à cause de la facilité du genre, de l’élégance de sa forme et de la correspondance qui régnait entre les vers, et les habitants des villes se mirent à tisser sur ce modèle et à ranger des vers d’après ce système. Ils y employèrent leur dialecte ordinaire, celui qui se parle dans les villes, et ne s’y astreignirent pas aux règles de la syntaxe désinentielle. Ils développèrent aussi une nouvelle branche de poésie à laquelle ils donnèrent le nom de zadjal et dont la versification conserve jusqu’à ce jour la forme qu’ils avaient adoptée. Dans ce genre de poésie, ils ont produit des pièces admirables, et l’expression des idées y est aussi parfaite que leur langage corrompu le permet. Le premier qui se distingua dans cette voie fut Ab Bakr Ibn バuzm n. Il est vrai qu’avant lui on avait récité des ballades en Espagne, mais la douceur du style, la manière élégante dont on y énonçait ses pensées et la beauté dont ce genre de composition était susceptible ne furent appréciées qu’au temps de ce poète. Il vivait sous les Almoravides et tenait, sans contredit, la première place parmi les compositeurs de ballades. Quant à ses zadjals , dit Ibn Sa‘id (mort en 1274), je les ai entendu réciter plus souvent à Bagdad que dans les villes de l’Occident.»

Mauvais sujet

Issu d’une famille cordouane dont plusieurs membres furent célèbres, notamment son oncle Ab Bakr Mu ムammad (celui qu’on appelle parfois al-Akbar pour le distinguer d’Ibn Guzman), ce chanteur de rues besogneux, qu’on trouve à Séville, à Jaén, à Grenade, mais qui avoue n’avoir jamais connu la mer, avait une réputation de loucherie et de laideur qui explique peut-être ses mœurs d’ivrogne sensuel, également habile aux hommes et aux femmes et qui encourait le reproche des bien-pensants. Bornons-nous à dire: «Ses chansons d’amour s’éloignent de l’amour courtois, qu’il tourne en ridicule, et il ne se gêne pas pour exalter la sodomie, dans un milieu où foisonnaient les mignons professionnels. En matière d’amours féminines, il étale sa débauche et ses polissonneries: il n’est d’ailleurs pas difficile: À mes yeux, elles sont toutes pareilles, la jeune et la vieille, la lointaine et la proche, la grasse comme la mince. » Il est proche de tel ou tel de nos poètes médiévaux. «Ses bien-aimées, il les recherche dans les rues et, les vendredis, dans les cimetières. Amateur de danseuses et de tendres musiciennes, infaillible consolateur des veuves, il ne se détourne point des épouses de ses voisins.»

Grand poète

Si on peut le comparer aux poètes médiévaux de la chrétienté, ce n’est donc point à ceux qui célèbrent l’amour courtois. On le rapproche plutôt, et à bon droit, d’Ab Nuw s (qui mourut en 815) et du mauvais sujet François Villon. Certes, une tradition veut qu’il se soit converti tardivement, comme Ab Nuw s, et ce, malgré un Testament digne d’un mécréant aviné. (Il se peut toutefois que le Testament remonte à la jeunesse du poète et que son vœu d’être enterré dans une vigne «au milieu des ceps» ne soit qu’une allusion littéraire.) Pour prouver la conversion, on peut arguer les circonstances de sa mort: à la fin d’un rama ボ n. Or de pieux vieillards mouraient souvent à ce moment-là, épuisés par le jeûne.

Bien qu’Ibn Guzman se qualifie de poète de style classique, de prosateur et de compositeur de zadjals en vernaculaire, seule a survécu, en fait de prose rimée, sa préface du D 稜w n; d’autre part, les quelques vers classiques de lui qui nous sont parvenus ne sauraient nous faire oublier qu’il est avant tout l’auteur de ses zadjals. Le D 稜w n d’Ibn Guzman, qui ne correspond sans doute pas au grand recueil dont la tradition nous assure qu’il exista, comporte cent quarante-neuf zadjals dont certains ont une forme voisine de celle du muwashsha ム (c’est-à-dire cinq ou six strophes). L’amour et le vin en sont les sujets les plus fréquents.

Tant s’en faut pourtant que l’œuvre entière d’Ibn Guzman soit bachique ou licencieuse. Contraint par sa pauvreté de dédier à de riches Cordouans un certain nombre de ses poèmes (27 sur 149), il lui arrive, hélas! de s’adonner au panégyrique du dédicataire; et, comme il y a parfois une justice en littérature, ces panégyriques nous ennuient. Mais Ibn Guzman nous amuse, nous intéresse et nous émeut quand il peint des tableaux de genre, des scènes prises sur le vif, où nous trouvons, dans l’Espagne andalouse, quelque chose qui évoque les frairies, les beuveries, les scènes de rue de la peinture hollandaise classique.

Questions pendantes

Pourquoi cet homme manifestement doué pour la satire, et qui n’aimait guère les fa ャ 稜hs , lesquels le lui rendaient bien, a-t-il somme toute ménagé ses ennemis? Par prudence? ou générosité? Le zadjal d’Ibn Guzman doit-il quelque chose à des chansons véritablement populaires? Controversée, la question le restera sans doute longtemps comme tant d’autres touchant les relations de l’art «populaire» à l’art tout court. Ibn Guzman est-il le père des troubadours? Le grand auteur arabo-andalou de ballades populaires intrigue les comparatistes. Non pas tant à cause des bribes de romanisme qui se retrouvent dans sa langue: c’était normal en Espagne andalouse (et, du reste, aucune finale de ses zadjals n’est composée en langue romane), mais à cause de ses relations avec la technique des troubadours de langue d’oc. Quand on ne cède pas au chauvinisme, il semble malaisé de contester l’heureuse influence du zadjal sur la métrique et quelquefois la thématique des troubadours . Comme le signalait déjà E. Lévi-Provençal, à qui l’on doit, outre de beaux travaux sur l’Espagne andalouse, une excellente bibliographie d’Ibn Guzman, «ce zadjal hispanique est passé en Espagne chrétienne, mais il y est passé assez tard sous la forme de production en langue castillane». Deux thèses inédites, œuvres d’Égyptiens, confirment l’action du zadjal non seulement sur la poésie de langue castillane, mais sur celle des troubadours. Un comparatiste algérien, J. E. Bencheikh, a montré l’influence du zadjal sur un poète au moins de la Renaissance italienne, Jacopone da Todi.

Autant par ses mérites propres que par son influence comme auteur d’un genre d’avenir, Ab Bakr Ibn Guzman importe donc à la littérature populaire arabo-andalouse et à la littérature universelle.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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